Tout est bienqui finit bien ?

Depuis que Jetske Mijnssen a mis en scène pour la première fois Le Barbier de Séville il y a dix ans, elle a toujours eu un problème avec cet opéra. Pour faire simple, elle ne trouve pas la fin crédible, et il y a une bonne raison à cela lorsqu’on connaît toute l’histoire.

Pour comprendre la fin, il faut commencer par le début : le dramaturge Pierre-Augustin Beaumarchais a écrit la trilogie politique et comique Le Barbier de Séville, Le Mariage de Figaro et La Mère coupable entre 1782 et 1792. Les pièces racontent les aventures du comte Almaviva, de Figaro et de Rosina (plus tard comtesse Almaviva), du docteur Bartolo et de Don Basilio à travers une série d'intrigues et d’imbroglios. Il y a cependant une chose qui ne change pas :
« Ils sont tous assez peu fiables et antipathiques, si vous voulez mon avis », déclare la metteuse en scène Mijnssen.

Une famille qui n’en est pas une

« Les personnages que nous rencontrons agissent un peu comme une famille étrange et dysfonctionnelle, même s'ils ne sont pas réellement apparentés. Nous avons ce médecin, qui n'en est pas forcément un, qui aimerait simplement boire son café et lire son journal tranquillement. Puis il y a le professeur de musique, Don Basilio, une âme sensible qui n'est pas tout à fait à sa place ici, tandis que Figaro et Rosina sont comme deux adolescents qui se chamaillent au petit déjeuner. Étrangement, ils sont tous à leur place, ensemble, dans ce paysage ».

Mais pour Mijnssen, il ne s'agit pas de nous les faire aimer. Elle maintient qu'ils sont tous cupides et entêtés :
« La chose la plus importante dans cet opéra, c’est qu'ils sont tous des gens désagréables. Même Rosina. Je sais qu'elle est souvent considérée comme une victime de son temps, étant donné qu'elle est enfermée par le Docteur Bartolo et qu'elle est sur le point d'être mariée de force. Mais je la vois comme une femme intrigante et toujours en train de conspirer, qui utilise le comte pour s'éloigner de Bartolo. »

Cependant, c’est l’exception qui fait la règle :
« Berta. Dans la version originale, c'est une vieille gouvernante, mais dans notre version elle est jeune et follement amoureuse de Figaro. Elle est aussi égoïste que les autres, mais en fin de compte, elle est probablement la personne la plus gentille sur scène. »
 
Retour aux sources

Mozart est le premier à avoir transformé la deuxième pièce de Beaumarchais en un opéra : Les Noces de Figaro. En 1786, l'opéra connaît un succès immédiat.
Trente ans plus tard, en 1816, Giacomo Rossini décide de composer un opéra à partir du Barbier de Séville, la pièce précédant celle du chef-d'œuvre de Mozart. Dans cet opéra, le texte et la musique se ressemblent : effervescents et bouillonnants d'idées. La rumeur veut que Rossini ait passé entre 13 et 19 jours sur l'ensemble de l'œuvre.

Dans Les Noces de Figaro, le public du XIXe siècle a connu le comte Almaviva comme un incorrigible coureur de jupons. Avec Le Barbier de Séville, beaucoup de gens ont vu cette version plus jeune du comte, avec son aura d'innocence, à la lumière des Noces de Figaro : tout ce qui brille n'est pas de l'or. Mais aujourd'hui, nous ne voyons pas forcément le comte du Barbier de Séville avec ce même scepticisme. Et c'est ici que commencent les problèmes pour Jetske Mijnssen.
« Je ne crois pas à la fin telle qu'elle est écrite et je pense que personne ne le peut. L'opéra se termine avec Rosina, Figaro et le comte Almaviva qui réussissent à tromper ce vieux grincheux de docteur Bartolo après qu’il a essayé d'épouser Rosina de force. Il semble que les trois braves jeunes gens aient pris leur revanche sur le vieux ronchon. Ce portrait des trois jeunes héros et du vieux grincheux dans la commedia dell'arte a-t-il encore du sens pour nous aujourd’hui ? En tout cas, ce n'est pas l'histoire que je veux raconter », explique Mijnssen.

Alors elle s'est assise et a tout écouté à nouveau. Bien sûr, Rossini était au courant pour le comte Almaviva. Alors, y avait-il quelque chose dans la musique qui dévoilait son vrai visage ?
« Il y a une aria à la fin de l'opéra qui est presque toujours coupée. Elle s'appelle « Cessa di più resistere » et elle est différente du reste. C’est sensationnel. Quand j'ai mis en scène Le Barbier de Séville il y a dix ans, je me suis dit : Quoi ? Faire chanter le comte pendant huit minutes à la fin de l'opéra ? Hors de question ! » dit-elle en riant.

Mais depuis, elle n’écoute plus l'aria de la même oreille.
« C'est un numéro incroyable, un’aria di bravura, mais en tant que metteuse en scène je dois avoir une idée précise de ce qu'il va se passer si je veux que ça marche. J'ai donc écouté le comte se vanter de son amour pour Rosina (ils sont sur le point de se marier) alors qu'en réalité il se vante de lui-même, et puis on finit par se perdre dans les merveilleuses coloratures. J’ai immédiatement pensé : c'est le comte que je connais. C'est le comte des Noces de Figaro. »
Mijnssen voit en cela l’expression de sa superficialité, un avant-goût du coureur de jupons que le comte va devenir. L'aria rompt ainsi avec le dénouement heureux et fait le lien avec Les Noces de Figaro.
 
Le succès de la comédie

L’ajout de "Cessa di più resistere" illustre parfaitement le travail de metteur en scène de Mijnssen. Il s'agit de prendre le travail au sérieux, et à plus d'un titre.
« Pour faire de la comédie correctement, il faut prendre le contexte au sérieux. Plus les chanteurs le prennent au sérieux, plus ça devient drôle. La première fois que j'ai mis en scène Le Barbier de Séville, je ne me suis pas assez appuyé sur le matériel. J'ai essayé d’imaginer un nouveau cadre et de nouvelles situations pour la pièce. Maintenant, je veux puiser dans les sources, me concentrer sur ce qui se passe entre tous ces personnages qui, pour une raison étrange, atterrissent tous dans la maison du docteur Bartolo. »

La tradition veut que l’on traite Le Barbier de Séville comme une farce. La conséquence, selon Richard Osborne, le biographe de Rossini, c’est que les personnages en sont réduits à des sortes de marionnettes. Et si demandez son avis à Jetske Mijnssen, ces personnages sont loin d'être creux.
« La qualité la plus importante de toute bonne comédie est qu'à la fin, ça fait mal. Ces gens nous rappellent nos propres faiblesses. C'est comme dans l'opéra comique Don Pasquale : ça fait mal de voir le vieil homme croire qu'il peut être heureux avec une jeune femme. Ça fait mal quand tout s'écroule. »

Texte : Vilde Alette Monrad-Krohn

Ce spectacle n'est plus disponible en vidéo à la demande mais vous pouvez encore profiter ici des contenus annexes à la production.