5 clés pour aborder Orphée et Eurydice
1° Un mythe universel
Le mythe d’Orphée a toujours fasciné car son sujet reste universel : la perte d’un être cher et l’impuissance face à la mort. Il symbolise aussi l’incroyable pouvoir de la musique et de la poésie. Orphée est un musicien virtuose dont la force du chant fait succomber aussi bien les vivants, les choses, que les morts ; il représente à lui seul l’allégorie même de la musique, et par la même occasion, de l’opéra.
Si l’histoire d’Orphée est pleine de péripéties et de protagonistes, son aventure commence véritablement lorsqu’il tombe amoureux d’Eurydice et lorsque celle-ci succombe à la morsure d’un serpent. Dévasté, Orphée, aidé par Amour, ira la chercher aux Enfers. Orphée ne peut pas la regarder avant leur arrivée à la surface de la Terre, sous peine de provoquer sa mort une seconde fois. Bien sûr, Orphée se retourne, sans quoi le mythe n’existerait pas.
Pour quelle raison Orphée n’a-t-il pas su résister à la tentation de se retourner alors qu’il avait réussi le plus dur : convaincre Hadès de le laisser entrer vivant aux Enfers ? Chaque auteur y va de sa propre interprétation. Est-ce parce qu’Eurydice manque de trébucher ? Eurydice doute-t-elle de l’amour d’Orphée et le contraint à se retourner ? Orphée veut-il simplement être sûr qu’Eurydice est bien derrière lui ? Est-ce tout simplement la fatalité de son destin ? La conclusion choisie apporte à chaque fois un nouveau regard sur l’œuvre.
2° Un opéra remanié par Berlioz
Lorsque qu’on confie à Berlioz, véritable adorateur de Gluck, la tâche d’adapter Orphée et Eurydice pour la grande Pauline Viardot en 1859, il décide de s’inspirer des deux versions établies par Gluck : l’une italienne (rôle d’Orfeo tenu par un castrat) et l’autre française (rôle d’Orphée tenu par un ténor). Berlioz conserve la partition française, mais renoue avec la version italienne et transpose la voix de ténor dans une tessiture convenant à Pauline Viardot. Orphée devient ainsi un rôle travesti interprété par une mezzo-soprano. Berlioz harmonise les tonalités, notamment pour des instruments plus modernes. L’ouverture, considérée comme trop festive et mondaine, est conservée mais jouée pendant que les spectateurs s’installent dans la salle. La fin est écourtée et modifiée.
C’est donc une œuvre ouverte, remaniée et réinterprétée à toutes les époques par de nombreux chanteurs et compositeurs, à commencer par Gluck lui-même, que le chef d’orchestre Raphaël Pichon et le metteur en scène Aurélien Bory s’approprient à leur tour. De la version de Berlioz, en français et avec trois rôles féminins, ils choisissent de ne pas jouer l’ouverture, estimée trop flamboyante et déconnectée de la tragédie qui s’annonce. Ils la remplacent par une autre pièce de Gluck, plus dramatique, Larghetto, extrait du ballet Don Juan ou le Festin de pierre (1761). À l’instar, les longues scènes de danse, imposées pour le ballet de l’Opéra de Paris en conclusion de l’œuvre, ne sont pas toutes conservées.
3° La magie du Pepper’s Ghost
Aurélien Bory se définit comme un metteur en scène de l’espace : il aborde les lois physiques du plateau et joue avec la gravité et la perspective. Visuellement, il a choisi d’utiliser un univers et des procédés contemporains à Berlioz, comme pour replonger le spectateur d’aujourd’hui au XIXe siècle. C’est ainsi grâce à un dispositif physique et optique inventé à l’époque qu’Aurélien Bory figure le « passage » d’Orphée entre les mondes des vivants et des morts: le Pepper’s Ghost, du nom de son créateur Monsieur Pepper.
Ce procédé d’illusion d’optique qui par jeu de réflexion lumineuse ou de transparence permet de faire apparaître et disparaître les objets - ou des individus, utilise une fine plaque de verre (aujourd’hui remplacée par un plastique léger) et des éclairages particuliers. Un projecteur haute définition, situé au-dessus de la scène émet une image sur une surface transparente. Celle-ci se reflète alors sur un écran transparent, généralement incliné à 45°, donnant une impression de profondeur.
4° La peinture s’invite sur scène
Le Pepper’s Ghost n’est pas simplement sur scène pour séparer le monde des morts et celui des vivants, mais aussi pour mettre en valeur une grande toile de Jean-Baptiste Corot, Orphée ramenant Eurydice des Enfers. Le reflet du Pepper’s Ghost permet de faire apparaître la peinture de Corot comme si elle était suspendue aux cintres, en exposition aux spectateurs. Pour Bory, cette œuvre peinte en 1862 fait naturellement écho à Orphée et Eurydice dans la version de Berlioz qui a été créée à la même époque et présentée au Théâtre-Lyrique seulement trois ans auparavant.
Cette coïncidence va aussi de pair avec l’esprit de transition, de passage, du monde des morts à celui des vivants pour Orphée, du changement d’un opéra statique à un opéra en mouvement que Gluck a engendré, et dans la peinture de Corot avec des traits perceptibles des prémices du passage à l’impressionnisme.
Par l’image et par l’acoustique, cette production parle ainsi de ce principe de la transition, de la séparation et de la conséquences des choix opérés dans une vie.
5° Un opéra qui mêle les genres : du cirque à la magie
La compagnie 111 créée par Aurélien Bory en a fait sa marque de fabrique, c’est l’espace qui compte avant toute chose : « La scène est un espace. (…) Cet espace est le seul support de l’art où l’on ne peut échapper aux lois de la mécanique générale. (...) Les corps, les objets sont soumis à la gravité sans échappatoire possible. (...) Le corps, l’objet sont pertinents pour parler de gravité. »
Ce sont les arts de la danse, de la magie et du cirque qui permettent au metteur en scène de traiter de l'espace et de la gravité. Aurélien Bory a notamment travaillé avec Raphaël Navarro, spécialiste de magie nouvelle, qui place le déséquilibre des sens et le détournement du réel au centre des enjeux artistiques. Il s’est également inspiré du ballet de Pina Bausch Orphée et Eurydice. Ainsi, circassiens et danseurs, mêlés au choeur Pygmalion, joueront les Furies des Enfers, dissuadant Orphée d’y pénétrer.