L'universalité de La Fiancée vendue

La Fiancée vendue est aujourd'hui considéré comme un opéra tchèque « par excellence ». L'autrice Henrietta Bredin interroge à ce propos le chef d'orchestre Jac van Steen et le metteur en scène Paul Curran : doit-on prendre en compte, voire contourner, cet élément avant de présenter l'œuvre sur scène ?

Paul Curran répond sans hésitation : « Ce serait comme affirmer qu'Eugène Onéguine se limite uniquement au fait d’être un roman russe ou que Hedda Gabler est exclusivement norvégienne. Ce sont des histoires universelles. L'élément qui incite à considérer que La Fiancée vendue est si spécifiquement tchèque, ce sont les danses nationales que Smetana a composées pour l’opéra. Elles parcourent l’œuvre, mais chacune a un caractère distinctif - elles ne sont ni douces ni sentimentales. Il existe par exemple une raison évidente pour laquelle l'une d'elles porte le nom de ‘Furiant’, et nous allons travailler à intégrer ces danses au sein de la structure dramatique de l'opéra. »

Jac van Steen acquiesce : « La musique des danses est très bien écrite. J'ai passé environ 25 ans de ma carrière comme directeur musical d’une maison d’opéra allemande et Die verkaufte Braut - La Fiancée vendue - a la plupart du temps été considéré, pour environ 99 représentations sur 100, comme une comédie légère à propos d’une jeune femme, d’un jeune homme et d’un garçon idiot. C’est pour cette raison que je n’ai jamais dirigé cet opéra, car il ne semblait pas correspondre au genre de répertoire qui m'intéressait. Puis, il y a environ six ans, j'ai commencé à travailler en République tchèque et j'ai découvert à quel point les Tchèques étaient fiers de cette œuvre. J'étudie la partition depuis presque deux ans maintenant. »

« Nous souhaitons faire des éléments de danse un point central des préoccupations d'une communauté », explique Curran. « L'opéra parle d'une petite communauté villageoise, où l’on se méfie des étrangers et où l'arrivée d'un cirque itinérant est une nouvelle particulièrement excitante. La venue de ce cirque bouscule le quotidien, le banal, en apportant une touche d'exotisme. C'est exotique, peut-être un peu facile, mais différent et surtout amusant. »

« Et », ajoute van Steen, « cet élément apporte un certain contraste par rapport à la romance de Mařenka et Jeník, la soprano et le ténor. Leurs rôles sont extrêmement difficiles car, contrairement à ce que la simplicité et le naturel apparents de la musique laissent penser - comme dans la plupart des musiques tchèques -, son interprétation requiert une grande endurance. Les accents que Smetana ajoute à sa partition sont clairement liés au texte - c'est l'une des raisons pour lesquelles je suis si heureux que nous l'exécutions dans la langue originale. La combinaison des mots et de la musique relève presque de l’onomatopée, c'est comme si vous pouviez goûter au son des mots et les comprendre ».

Curran souligne que les personnages sont très bien dessinés : « Mařenka n'est ni une romantique naïve ni une intrigante - c'est une jeune femme forte et capable qui est profondément offensée et blessée d'avoir été vendue par un entremetteur de façon aussi scandaleuse. Sa mère est elle aussi intéressante : d'une certaine façon, elle est la clé de tout, ce qui en fait une pièce essentiellement féministe. Vous attendez d'elle qu'elle ordonne à sa fille de faire ce qu'on lui dit, mais elle lui dit plutôt : « Nous agissions ainsi de notre temps, mais tu n'es pas obligée de suivre ce modèle. Tu peux faire tes propres choix. »

« Smetana jongle avec la psychologie des personnages », ajoute van Steen. Il leur donne sa version d'un leitmotiv wagnérien. L’entremetteur matrimonial, Kecal, mi-méchant mi-comique, est souvent accompagné par un basson, qui lui apporte cette même combinaison de couleurs. Et lorsque Mařenka chante les mots ‘amour’ ou ‘foi’, elle est accompagnée de deux clarinettes. Mais dès qu'elle refuse de suivre les décisions de son père, Smetana ajoute le son plus dur du hautbois. L'orchestre complet est utilisé pour l'ouverture et les danses, mais Smetana fait appel à des combinaisons particulières d'instruments lorsqu’il en a besoin. Mon défi sera de faire en sorte que les musiciens brillants de l'orchestre philharmonique soient à la fois totalement libres, suivant le style romantique tchèque, et extrêmement précis dans leur façon de jouer. Ma devise sera : ‘Flexibilité entre les barres de mesure’. »

« Et », ajoute Curran, « mon défi à moi sera - entre autres - de faire à la fois jouer, chanter et danser ces fabuleux chanteurs ».

Henrietta Bredin est rédactrice en chef adjointe de Opera Magazine et rédige beaucoup sur l'opéra et le théâtre.