Pelléas et Mélisande
En s’égarant dans une forêt, un prince rencontre une mystérieuse jeune femme et la ramène chez lui, dans un sombre château hanté par des désirs refoulés. Elle y rencontre le demi-frère de son nouveau mari dont elle tombe amoureuse : un triangle amoureux funeste se dessine.
Dans une synergie artistique parfaite, les chorégraphes Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet, aux côtés de la légendaire artiste et performeuse Marina Abramovic, transforment Pelléas et Mélisande en un rêve cosmique. Tout comme Debussy dans sa musique impressionniste, les interprètes et les créateurs de cette production se passent de toute illustration pour se concentrer sur l’émergence des émotions enfouies des personnages.
Distribution
Pelléas | Jacques Imbrailo |
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Mélisande | Mari Eriksmoen |
Golaud | Leigh Melrose |
Arkel | Matthew Best |
Geneviève | Yvonne Naef |
Yniold | Marie Lys |
A doctor / a shepherd | Justin Hopkins |
Danseur·euses | Shawn Fitzgerald, Ahern Oscar Ramos, Robbie Moore, Pascal Marty, Jonas Vandekerckhove, Xavier Juyon*, Valentino Bertolini*, Carl Crochet |
Chœurs | Grand Théâtre de Genève Choir |
Orchestre | Orchestre de la Suisse Romande |
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Musique | Claude Debussy |
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Direction musicale | Jonathan Nott |
Mise en scène | Damien Jalet, Sidi Larbi Cherkaoui |
Décors | Marina Abramović (design and concept) |
Lumières | Urs Schönebaum |
Costumes | Iris van Herpen |
Chef·fe des Chœurs | Alan Woodbridge |
Musical dramaturgy | Piet De Volder |
Réalisation du film | Andy Sommer |
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Vidéo
L'histoire
Perdu dans une forêt, le prince Golaud rencontre une jeune fille mystérieuse, pleurant au bord d’une fontaine. Les seules choses qu’elle lui apprend, c’est qu’elle a fuit ceux qui lui faisaient du mal et qu’elle s’appelle Mélisande. Golaud la persuade finalement de l’accompagner.
Quelques mois plus tard, à présent mariés, ils arrivent après un long voyage en mer dans la patrie de Golaud, Allemonde, où son grand-père le roi Arkel les accueille dans un sombre château dans la forêt. Misère et famine règnent sur Allemonde, mais au château l’essentiel est gardé sous silence. Ses habitants sont en proie à des traumatismes et des désirs refoulés.
Il n’y a qu’avec Pelléas, le demi-frère de Golaud, que Mélisande tisse un lien profond. La jeune femme et son beau-frère sont tous les deux conscients que l’essentiel n’est pas toujours visible. Un triangle amoureux étrange et glaçant se forme entre Mélisande et les deux frères.
En profondeur
5 perspectives sur Pelléas & Mélisande de Debussy
1º Le compositeur
« Je conçois une forme dramatique autre que celle de Wagner : la musique commence là où la parole est impuissante à exprimer. La musique est écrite pour l'inexprimable : je voudrais qu’elle eût l’air de sortir de l’ombre et que par instants elle y rentrât ; que toujours elle fût discrète » (Debussy en 1889). C’est pourtant de Wagner que le compositeur a appris l’importance de l'orchestre et l’entremêlement des motifs musicaux, tout comme il s’est imprégné de l'influence russe de Moussorgski en écrivant des lignes vocales qui suivent les motifs naturels de la parole. Alors qu'il admirait son lointain prédécesseur Rameau, Debussy a réagi contre les excès lyriques et dramatiques de l'opéra français et italien de la fin du XIXe siècle.
2º Le dramaturge
L'auteur belge Maurice Maeterlinck n'aimait pas la musique et les compositeurs, qu’il trouvait « tous fous, tous malades dans leur tête ». Bien qu'il ait accepté de rencontrer Debussy, il espérait en réalité que l'opéra soit « un désastre immédiat et retentissant » et a attendu pas moins de 20 ans après la création pour assister à une représentation. Pourtant, et malgré lui, son langage simple s'est révélé être un don pour un compositeur capable d’exprimer par la musique ce que les paroles ne disent pas. Il a créé un monde mystérieux qui transcende le réalisme. Des phrases en apparence innocentes et banales dissimulent des émotions profondes. Il est difficile de savoir si les personnages se mentent entre eux ou s’ils disent la vérité.
3º Le symbolisme
Maeterlinck appartient au mouvement artistique connu sous le nom de symbolisme qui fleurit à la fin du XIXe siècle. Des poètes comme Rimbaud et Mallarmé, des peintres comme Moreau, Khnopff, Klimt et Munch, réagissant contre le réalisme, préfèrent l'évocation et la suggestion à la description et à la narration. Mallarmé écrit : « peindre non la chose mais son effet. » Bien que ces artistes aient influencé des compositeurs tels que Rachmaninov, Schoenberg et, plus tard, Martinů ainsi que Debussy, leur art aspire à communiquer l'essence d'une idée à la manière de la musique.
4º L’impressionnisme
Les plus célèbres partitions pour orchestre de Debussy, Prélude à l'après-midi d'un faune, Nocturnes, La mer, décrivent la nature, non pas littéralement mais en évoquant une impression destinée à capter son essence. En ce sens, elles sont souvent citées comme des équivalents sonores des tableaux impressionnistes. Debussy lui-même n'aime pas cette étiquette. Il objecte : « J'essaie de faire ''autre chose'' et de créer - en quelque sorte, des réalités - ce que les imbéciles appellent ''impressionnisme'', terme aussi mal employé que possible, surtout par les critiques d'art. » Lorsque le compositeur Pierre Boulez dirige une célèbre production de Pelléas à Covent Garden, il évite résolument l'interprétation insipide traditionnelle et se focalise sur la clarté des accords et des lignes musicales.
5º Les interprétations
Boulez a attiré l'attention sur la juxtaposition récurrente de l'obscurité et de la lumière dans le texte, en particulier lors du point culminant – la scène des deux amants – avant le meurtre de l'Acte 4. Il a également mis en contraste le caractère affirmé de Golaud, qui cherche toujours à imposer un schéma à la vie, avec les personnages passifs de Pelléas et d'Arkel, qui attendent volontiers de voir ce que le destin leur réserve. Mélisande est entre les deux, à la fois manipulatrice et victime. Debussy cherche à capturer « ce rien dont elle est faite ». Mélisande reste le cœur de l’énigme, la pièce centrale du puzzle. La production du Grand Théâtre de Genève jette des rayons de lumière sur ce monde insaisissable avec les chorégraphies de Sidi Larbi Cherkaoui et la scénographie symbolique de Marina Abramović, qui apportent de nouveaux niveaux de lecture au chef-d'œuvre de Debussy.
Nicholas Payne