Rusalka, une mystérieuse et insaisissable nymphe des eaux, désire plus que tout au monde devenir humaine pour conquérir l’amour d’un jeune prince. Mais cette métamorphose a un prix : elle perd l’usage de la parole et sera damnée à jamais en cas d’échec de leur histoire d’amour.
Rusalka, conte lyrique inspiré de La petite sirène ou encore de Undine, est l’avant-dernière œuvre de Dvořák et l’un de ses plus grands succès. Dans cette production de l’Opéra Ballet Vlaanderen, le metteur en scène et chorégraphe norvégien Alan Lucien Øyen apporte une nouvelle dimension à ce chef-d’œuvre du répertoire tchèque en dédoublant les personnages principaux sur scène, à la fois représentés par un·e chanteur·se et un·e danseur·se, renforçant ainsi le profond onirisme de l’opéra. Le personnage de Rusalka est incarné par l’impressionnante soprano sud-africaine Pumeza Matshikiza et l’orchestre dirigé avec brio et intensité par la cheffe lituanienne Giedré Šlekytė.
Distribution
Rusalka | Pumeza Matshikiza |
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Rusalka (dancer) | Shelby Williams |
The prince | Kyungho Kim |
The Prince (dancer) | Morgan Lugo |
Vodník l'Esprit du lac | Goderdzi Janelidze |
Vodník (dancer) | Matt Foley |
Ježibaba, a witch | Maria Riccarda Wesseling |
The Foreign Princess | Karen Vermeiren |
Garde forestier | Daniel Arnaldos |
Turnspit | Raphaële Green |
Chasseur | Justin Hopkins |
First wood sprite | Annelies Van Gramberen |
Second wood sprite | Zofia Hanna |
Third wood sprite | Raphaële Green |
Wood sprites (dancers) | Morgana Cappellari, Lara Fransen, Laurine Muccioli, Júlia Pagès |
Water nymphs (dancers) | Joseph Kudra, Robbie Moore, Shane Urton, Lateef Williams |
Orchestre | Opera Ballet Vlaanderen Symphonic Orchestra |
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Musique | Antonín Dvořák |
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Direction musicale | Giedrė Šlekytė |
Mise en scène | Alan Lucien Øyen |
Décors | Åsmund Færavaag |
Lumières | Martin Flack |
Costumes | Stine Sjøgren |
Texte | Jaroslav Kvapil |
Chef·fe des Chœurs | Jan Schweiger |
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Vidéos
L'histoire
Acte I
Au bord d'un lac, au cœur de la forêt, trois esprits des bois taquinent Vodník, l'esprit de l’eau, l’attirant à la surface et échappant sans cesse à son emprise. La fille de Vodník, Rusalka, une nymphe d'eau, est contrariée car elle ne se sent plus à sa place dans l'eau. Elle aspire à s'échapper et à prendre une forme humaine afin d’aller à la rencontre du prince qu'elle a vu chasser près du lac et de pouvoir ainsi goûter à l'amour humain.
Rusalka demande à son père de l’aider à trouver une solution. Malgré ses premiers avertissements, il l'emmène voir la sorcière Ježibaba. Rusalka la supplie de lui offrir une âme et un corps humains. Ježibaba accepte mais en échange, Rusalka devra sacrifier sa voix. L'aide de Ježibaba s'accompagne également d'une malédiction : si Rusalka ne parvient pas à gagner le cœur du prince, elle sera bannie et condamnée à errer pour l'éternité entre la vie et la mort sous la forme d’un esprit. Son prince bien-aimé connaîtra, lui, la damnation. Rusalka accepte les conditions et boit la potion que lui a préparé la sorcière.
Sur la piste d'une biche blanche, le prince et le chasseur tombent sur Rusalka. Aussitôt captivé, le prince emmène la jeune femme dans son château.
Acte II
Au château, les préparatifs d'un bal sont en cours. Le garçon de cuisine explique au garde-chasse que le prince veut épouser une femme qu'il a ramenée de la forêt la semaine précédente. Selon le garçon de cuisine, les sentiments du prince pour Rusalka se sont déjà estompés...
Les rumeurs qui circulent à la cour se confirment : le prince n'aime plus Rusalka. Il éprouve une certaine aversion pour son corps froid et moite, et son inexplicable silence. Une princesse étrangère suggère au prince de mieux s'occuper de ses invités. Le prince ordonne froidement à Rusalka de se préparer pour le bal avant de partir rejoindre ses invités aux côtés de la princesse. Rusalka se sent seule et abandonnée.
Alors que les invités dansent et s'amusent au bal, Vodník arrive et déplore le sort de sa fille. En sa présence, Rusalka retrouve sa voix et exprime toute sa souffrance. Elle a été rejetée par le prince, qui s’est épris de la princesse étrangère. Vodník menace le prince : jamais il ne pourra échapper à l’étreinte de sa fille. La princesse abandonne alors elle aussi le prince. Vodník escorte Rusalka dans les profondeurs.
Acte III
De retour dans les bois, au bord du lac, Rusalka se lamente sur son sort. Ježibaba apparaît alors et lui offre une issue : si Rusalka tue le prince, elle pourra retourner dans le monde aquatique. Rusalka refuse son offre car elle préfère se soumettre à son sort plutôt que de tuer l'homme qu'elle aime. Rusalka est bannie par les nymphes d'eau.
Le garde-chasse et le garçon de cuisine se rendent auprès de Ježibaba pour lui demander conseil à propos du prince, qui est envahi par le désespoir. Elle se moque d'eux et ils prennent peur. Lorsqu’ils accusent Rusalka d’être responsable de l'état du prince, l'esprit de l'eau Vodník apparaît. Il leur rappelle que c'est le prince qui l'a abandonnée et non l’inverse. Vodník jure de se venger. Les trois esprits des bois commencent à chanter et à danser. Vodník leur explique que Rusalka est condamnée à souffrir et qu'elle a été bannie par ses sœurs.
Le prince cherche désespérément son amour exilé. Il se repent et supplie Rusalka de l’embrasser. Elle l'avertit qu’un tel baiser sera fatal, mais le prince insiste et meurt dans ses bras. Rusalka remercie le Prince de lui avoir permis de faire l'expérience de l'amour humain et recommande son âme à Dieu. Elle retourne ensuite dans les profondeurs du lac sous la forme d'un bludička, un feu follet, un démon condamné à ne jamais vivre ni mourir et qui n'émerge que pour attirer les humains vers les profondeurs.
En profondeur
Un irrépressible désir d'authenticité
Le dramaturge Koen Bollen se penche sur les représentations historiques des esprits de l'eau et questionne le metteur en scène Alan Lucien Øyen à propos de Rusalka : l’oeuvre n'est-elle pas simplement un spectacle grandiose empreint de magie, ou une parabole de la condition humaine ?
Avec Rusalka, le compositeur tchèque Antonín Dvořák (1841-1904) a créé l'une des œuvres les plus intrigantes, multidimensionnelles, et musicalement brillantes de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. Pour écrire son livret, l'auteur et dramaturge tchèque Jaroslav Kvapil s’est inspiré de La petite sirène de Hans Christian Andersen ainsi que du sombre conte Undine de Friedrich de la Motte Fouqué, en incluant des éléments de Die versunkene Glocke (La cloche engloutie) de Gerhart Hauptmann. Kvapil et Dvořák ont mis en relation ces sources littéraires d'Europe occidentale et le mythe d'origine slave des rusalki, ces esprits de l'eau à l’histoire particulière. Il en résulte une partition lyrique profonde présentant une orchestration inventive qui transforme de manière convaincante les personnages de conte de fées en personnages complexes à part entière.
Les esprits féminins de l'eau inspirent depuis des milliers d'années des mythes, des sagas et des légendes. Leur beauté insaisissable et leur sombre menace se retrouvent dans d'innombrables œuvres littéraires et musicales. La sirène grecque, la mélusine française, l'ondine allemande et la rusalka slave sont autant de variations de la figure énigmatique de la sirène. Les sirènes telles que nous les connaissons aujourd'hui ne sont apparues qu'au Moyen Âge. Dans l'Europe chrétienne, Ulysse est devenu le prototype du vrai chrétien capable de résister aux sirènes tentatrices. En 1590, dans son Liber de nymphis, sylphis, pygmaeis et salamandris et de caeteris spiritibus, le médecin allemand Paracelse décrit l'esprit de l’eau comme une créature dépourvue d'âme immortelle, mais qui peut l’obtenir en se mariant avec un humain.
Le XIXe siècle fut l’âge d'or des récits consacrés aux esprits de l'eau. L’avènement de la modernité et la révolution industrielle furent ensuite accompagnés d'un contre-mouvement au sein des arts. Durant la période romantique, la fantaisie et la nature, dont les esprits de l’eau, redevinrent un thème important. L'écrivain allemand Fouqué a basé son influent roman Undine (1811) sur la tradition de l'esprit d'eau sans âme telle que décrite par Paracelse. Le père d'Undine souhaite que sa fille épouse un humain et acquière ainsi une âme. Finalement, le chevalier Huldbrand emmène Undine dans son château où son amour pour elle s'éteint au profit d'une autre femme. Selon les lois de la nature, Undine doit tuer Huldbrand en l’embrassant.
Undine devint l'une des sources d'inspiration majeures de l'auteur de contes de fées Hans Christian Andersen, dont La Petite Sirène fut publiée en 1837. Cette dernière aussi aspire à trouver l'amour auprès d'un homme. En échange d'une forme humaine, elle cède sa voix à la Sorcière des mers. Si elle peut gagner l'amour de son prince, elle gagnera une âme humaine. Mais son sacrifice s'avère vain, et la seule façon d'échapper à son destin et de se dissoudre dans l'écume de mer, est de tuer le prince. Elle refuse néanmoins. Le conte d'Andersen, qui se distingue par le refus de la sirène de tuer le prince, réinvente le personnage de la sirène. Alors qu'elle était habituellement représentée comme un objet passif des fantasmes masculins, Andersen lui donne un rôle actif. Elle n'est plus victime des forces naturelles et humaines. Elle acquiert une volonté individuelle, un élément qui occupe également une place centrale dans Rusalka de Dvořák.
Kvapil et Dvořák ont principalement puisé dans la tradition littéraire occidentale pour le traitement artistique du conte de fées, mais les deux artistes ont également emprunté de nombreux éléments à la mythologie populaire slave. Dans l’imaginaire populaire, les rusalki étaient des jeunes filles qui s'étaient noyées ou étaient des filles illégitimes - et donc non baptisées - qui avaient été tuées par noyade. Ces jeunes filles étaient ainsi exclues des rites funéraires tant ecclésiastiques que païens et étaient donc considérées, aux côtés notamment des criminels exécutés, comme des « mortes impures ». La distinction la plus fondamentale entre la tradition occidentale et cette tradition slave orientale réside dans l'origine humaine de l'esprit de l'eau : une rusalka n'est pas un esprit naturel sans âme, mais une âme humaine perdue.
« Rusalka est un conte de fées qui présente des personnages aussi divers que des nymphes, une sirène, l’esprit du lac, une sorcière, un prince et une princesse », explique Alan Lucien Øyen, qui dirige cette nouvelle production au Opera Vlaanderen. « Mais c'est aussi l'histoire d'un père qui perd sa fille, d'une jeune femme prête à tout abandonner pour un sentiment d'appartenance, d'un jeune homme qui ne sait plus ce que la société attend de lui et, enfin, de la sorcière dominée par le ressentiment et l'amertume d’une vie qui n'a jamais été vécue. » Le désir de souligner le réalisme du conte de fées fut le point de départ pour le metteur en scène et chorégraphe norvégien. Pour lui, Rusalka traite essentiellement du conflit entre les désirs inassouvis et l’implacable réalité. Même s’il nous est impossible d'échapper à un destin prédéterminé, nous sommes néanmoins toutes et tous à la recherche d'une vie authentique.
Dans cette production, plusieurs personnages sont incarnés à la fois par un·e chanteur·se et un·e danseur·se, qui se partagent le rôle. Cela permet à Øyen d'illustrer le livret de façon très directe et de révéler les émotions et les motivations sous-jacentes des personnages. « Cet opéra est une histoire d'aliénation et de sentiment de différence », explique-t-il. « Rusalka subit une profonde transformation afin de pouvoir assouvir son besoin d’appartenance, mais elle finit par se sentir plus aliénée que jamais dans sa nouvelle vie. Elle ne se considère ni comme un esprit de l'eau ni comme une humaine et elle se sent de plus en plus perdue et seule ». Rusalka est un conte profond sur notre désir de choisir un lieu où nous nous sentons chez nous et de vivre comme nous l'avons toujours souhaité. L'intrépide Rusalka nous montre comment nous pouvons prendre notre vie en main et raconter notre propre histoire, même face à un destin qui semble inévitable.
Ce texte est basé sur un article de Koen Bollen, paru pour la première fois dans le programme de Rusalka en décembre 2019.