Après de nombreuses années d'errance à travers le monde, un compositeur anxieux choisit l'amour plutôt que l'art. Mais il est peut-être déjà trop tard pour sauver quoique ce soit.
Franz Schreker était un compositeur populaire au début du XXe siècle, jusqu'à ce que sa musique soit interdite par les Nazis parce qu'il était d'origine juive. Der ferne Klang, sa première œuvre majeure, est un opéra romantique tardif de grandes passions. Le metteur en scène Christof Loy est de retour au Royal Swedish Opera avec cette mise en scène onirique.
Distribution
Grete | Agneta Eichenholz |
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Fritz | Daniel Johansson |
Vieux Graumann / Un policier | Johan Rydh |
Vieille femme de Graumann / Vieille femme | Miriam Treichl |
Propriétaire / Second choriste | Andreas Lundmark |
Un mauvais acteur / Un acteur | Jeremy Carpenter |
Dr Vigelius / Le baron | Lars Arvidson |
Mizi | Vivianne Holmberg |
Milli | Marie-Louise Granström |
Mary | Madeleine Barringer |
Le compte / Rudolf | Ola Eliasson |
Le chevalier / Un conseiller douteux | Klas Hedlund |
Premier membre du chœur | Daniel Ohlmann |
Chœurs | Royal Swedish Opera Chorus |
Orchestre | Royal Swedish Orchestra |
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Musique | Franz Schreker |
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Direction musicale | Antonino Fogliani |
Mise en scène | Christof Loy |
Décors | Raimund Orfeo Voigt |
Lumières | Olaf Winter |
Costumes | Barbara Drosihn |
Texte | Franz Schreker |
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Vidéos
L'histoire
Acte I
Fritz est un jeune compositeur ambitieux qui vit dans une petite ville allemande. Il abandonne son véritable amour, Grete Graumann, issue d'un milieu modeste, pour se consacrer à sa musique. Il part à la recherche d'une mélodie qu'il entend au fond de lui et qu'il a du mal à retranscrire. Libre et sans entraves, il espère trouver cette mystérieuse mélodie qui lui échappe encore. Toujours épris de Grete, il promet de revenir auprès d’elle dès qu'il se sera établi en tant que compositeur.
En l’absence de Fritz, les parents de Grete essaient de la marier au propriétaire d'une auberge locale, dans l'espoir de régler les dettes du père, un ivrogne. Grete s'enfuit alors du domicile familial et suit une vieille femme qui l’entraîne dans la forêt en pleine nuit. La femme lui promet qu’elle trouvera le bonheur auprès d’un beau jeune homme. Grete espère revoir Fritz.
Acte II
Dix ans se sont écoulés. Trompée par la vieille dame, qui était en réalité une maquerelle, Grete est désormais une courtisane très convoitée, dans une maison close de luxe près de Venise. Des aristocrates admiratifs l'entourent, dont un comte qui la voudrait pour lui seul et qui es prêt à l'emmener avec lui.
Grete, qui a déjà été avec des centaines d'hommes, pense toujours à Fritz. Elle décide de défier ses prétendants à un concours : Celui dont la mélodie, l’histoire ou la chanson sera la plus imaginative et la plus touchante gagnera une nuit gratuite à ses côtés.
Dans une sombre ballade, le comte chante son insatiable désir pour elle, et un chevalier chevronné entonne une chanson sur l'insignifiance du mariage. Bientôt, le public divisé exige que Grete déclare le chevalier vainqueur.
À ce moment précis, un étranger apparaît. Il s’agit de Fritz, devenu un compositeur renommé. Il n'a toujours pas trouvé la fameuse mélodie qu'il cherchait. Fritz et Grete se reconnaissent immédiatement et tombent dans les bras l'un de l'autre. Cependant, lorsque Fritz se rend compte que Grete est une prostituée, il la quitte pour la deuxième fois. Le comte réclame son prix et emmène avec lui une Grete affolée.
Acte III
Quinze ans plus tard, une maison d'opéra allemande met en scène un opéra que Fritz a enfin terminé. Grete, qui, après une brève période avec le comte, a été jetée à la rue, est de retour en Allemagne, en tant que prostituée ordinaire. Elle aperçoit le nom du compositeur sur une affiche de l’opéra et se rend au spectacle. Très émue par l’histoire, qui relate essentiellement son parcours personnel, Grete quitte le théâtre avant la fin de la représentation. Alors que le public sort de l'opéra, elle entend dire que l'œuvre est considérée comme un échec et qu'elle survivra à peine à son créateur mourant. Reconnaissant la jeune femme, le docteur Vigelius, qui avait participé à son projet de mariage avec le propriétaire, de nombreuses années auparavant, se sent coupable de sa misère et lui promet de l'amener à Fritz.
Le lendemain matin de l’échec de la première, Fritz reçoit la visite de son ami, Rudolf, qui est venu lui remonter le moral. Il estime que Fritz devrait être en mesure de réécrire l'acte final et améliorer ainsi son chef-d'œuvre. Sentant que la mort est proche, Fritz souhaite seulement revoir la femme qu'il a aperçue dans le public lors de la représentation, et qui a quitté l'opéra avant la fin.
Soudain, Fritz entend à nouveau cette mélodie intérieure, qui lui échappait depuis si longtemps. Le docteur Vigelius lui amène Grete. Le couple promet de ne plus jamais se séparer, mais Fritz sent la vie le quitter. Il comprend enfin qu'il ne pouvait entendre la mélodie qu'aux côtés de Grete, et il meurt dans ses bras.
En profondeur
Amour, destin et obsession
L'amour, le destin et l'obsession jouent un rôle crucial dans Der ferne Klang de Franz Schreker. Christof Loy revient sur sa fascination pour l'opéra et les enseignements qu’il en a tirés en mettant en scène cette nouvelle production du Royal Swedish Opera.
Au cours de la dernière année, j'ai mis en scène trois opéras consacrés aux artistes eux-mêmes : Tannhäuser de Richard Wagner, Capriccio de Richard Strauss et à présent Der ferne Klang de Franz Schreker. Ces oeuvres m'ont permis de mieux comprendre le processus créatif. Il est facile de dire que ces opéras ne concernent que les compositeurs et leurs problèmes, mais la création d’une œuvre d'art peut être le symbole de la création d’une vie. Elle aborde les choix que nous faisons. Nous devons constamment lutter pour parvenir à prendre les bonnes décisions, mais il nous arrive de faire de mauvais choix, tant dans la vie que dans l'art.
Le destin constitue un ingrédient important du monde imaginé par Schreker. La plupart des gens associent le mot « destin » à un élément maléfique, au fait d’être né sous une mauvaise étoile. Alors que pour Grete, il s'agit de sa situation familiale, pour Fritz, c’est une crise créative dans sa vie professionnelle qui le mène à l’autodestruction. L'aspect « conte de fées » de l'opéra transforme les forces du mal en rôles. La vieille dame qui trompe Grete dans le premier acte, et le Dr. Vigelius, presque semblable à Méphistophélès, sont les personnages les plus ouvertement malveillants. Mais même un personnage qui semble plutôt ordinaire, tel que Rudolf, finit par conduire Fritz aux abysses.
Il est intéressant que nous ne considérions jamais le destin comme un élément positif. Il s’agit indéniablement d’un thème important de l'opéra, mais Grete et Fritz doivent également se battre pour comprendre l'amour qu'ils éprouvent l'un pour l'autre. En fin de compte, tout ce qui est positif est lié à leurs choix personnels. J'ai toujours eu l'impression que l'Acte III conduisait à une sorte de catharsis, pour Fritz et Grete bien sûr, mais aussi pour le public.
Lorsque Fritz réalise enfin que le fait de trouver cette « mélodie lointaine » qu’il entend ne lui apportera pas le succès qu'il attendait, il est sous le choc. Mais cet étonnement le laisse libre de trouver l’inspiration ailleurs. Lorsque, dans le premier acte, il explique à Grete qu’il doit partir pour trouver cette mélodie, sa pulsion est juste. Le problème réside dans la superficialité de ce voyage : il témoigne de l’étroitesse d'esprit de Fritz. Chacun peut se reconnaître en lui, nous cherchons toutes et tous l'inspiration de manière superficielle, sans la trouver. Puis, alors que nous baissons les bras, la réponse que nous cherchions depuis le début se révèle à nous. Pour Fritz, cet échec constitue une étape importante de son processus de guérison.
Grete, quant à elle, aspire à être aimée par Fritz, et ce désir demeure malgré l’éloignement. Comme Violetta dans La traviata de Giuseppe Verdi, Grete fait un choix malheureux lorsqu'elle suit la vieille dame, qui se révèle être une maquerelle et la transforme en courtisane. Grete vit également un moment de catharsis au cours du troisième acte, lorsqu'elle se voit représentée sur scène dans l'opéra de Fritz. À la fin de la représentation, le Dr. Vigelius l’aborde : « N'êtes-vous pas Gretel ? Gretel Graumann ? » Et Grete de répondre : « Oui, c'est ce que je veux être. » Un moment particulièrement émouvant.
Avec La traviata, Verdi poursuit un agenda politique et social en critiquant le système écoeurant de la prostitution et du traitement injuste des femmes. Lorsque j'ai lu et étudié pour la première fois Der ferne Klang, il m’a semblé que l'élément érotique était traité superficiellement, exhibé de façon presque honteuse, mais ayant à présent expérimenté physiquement la musique de Schreker, je pense qu'il avait en fait les mêmes préoccupations que Verdi. C'est une erreur de penser qu'il glorifiait cet univers sexuel ; il avait plutôt à coeur de dénoncer la vie misérable de ces femmes.
Schreker a offert une voix musicale à tous ces personnages. À chaque battement, on sent leurs obsessions. Il n'y a pas une seule note superflue dans la partition, tout a un objectif dramatique. C'est ce que nous pouvons dire de tous les grands compositeurs : ils nous permettent d'explorer la condition humaine à travers le langage musical qu’ils ont trouvé pour refléter la difficulté des choix individuels.
Ce texte est basé sur une interview de Christof Loy par Katarina Aronsson, dramaturge et directrice de programme au Royal Swedish Opera, qui fut publiée pour la première fois dans le programme de Der ferne Klang en octobre 2019.