Attila from Sofia
Attila from Sofia

Attila de Verdi - Le territoire des Dieux

Un monde primitif et élémentaire

L'histoire nous apprend qu'Attila le Hun était un chef militaire redoutable, un conquérant impitoyable et organisé, le « fléau de Dieu » ! Et pourtant, dans cet opéra, Attila est en proie à des rêves sauvages et victime d'un prêtre en robe blanche.

Nous avons appris que Verdi était un patriote, qui soutenait la cause d'une Italie unie. Pourtant, les Italiens de cet opéra sont des traîtres assoiffés de sang. Les Italiens de souche sont soit des terroristes, soit des politiciens sournois. C'est le sauvage qui est noble. Ou plutôt, c'est Attila qui est vulnérable aux émotions tandis que ses adversaires, froids et calculateurs, utilisent l'intellect pour le neutraliser. Pour cela, ils sont aidés par les éléments qui se combinent pour déstabiliser puis anéantir l'envahisseur.

Attila habite un monde primitif. Verdi et son librettiste Solera évoquent soigneusement ce monde antique aux valeurs simples. Les forces naturelles sont omniprésentes : les cieux, les dieux, les moments élémentaires. La deuxième scène du prologue commence par une tempête, cédant la place – inhabituel pour Verdi – à une aube programmatique. Le mouvement de l'obscurité vers la lumière est repris par le mouvement du piano vers le forte, du majeur vers le mineur, et par la résolution prolongée des accords dissonants. Après le feu purificateur du sac d'Aquilée, viennent les vasières de la lagune adriatique. Le texte intentionnellement poétique de Solera parle de la terre et du ciel.

Un opéra de confrontation entre individus

On pourrait s'attendre à ce qu'Attila soit composé comme un opéra bruyant du Risorgimento, plein de chœurs patriotiques. Au contraire, l'utilisation du chœur est purement fonctionnelle. Attila est un opéra sur la confrontation entre individus. C'est l'histoire de quatre personnes. Son drame est raconté en duos, trios, quatuors. Il ne fait pas écho aux opéras patriotiques de Verdi comme Nabucco et I Lombardi, mais suit Ernani et préfigure Il trovatore.

La relation clé entre Attila et Odabella est une attirance des contraires, mais une attirance sexuelle néanmoins. Pour quelle autre raison Odabella continue-t-elle de repousser le meurtre d'Attila ? Elle a toutes les raisons de le tuer : l'amour de son pays, de son père, de son fiancé Foresto. Pourtant, elle est fascinée par l'envahisseur. La romanza d'Odabella au début du premier acte, avec son prélude évocateur et son beau cor anglais obbligato, est une représentation poignante de son état torturé.

L'image de son père mort cède la place à celle de son amant perdu. Elle est hantée par des fantômes. Les retrouvailles avec Foresto ne sont guère rassurantes. Ils sont devenus des amants mal à l'aise, minés par la suspicion et l'incompréhension. L'hypothèse d'Odabella sur Judith choque et enflamme Foresto

L'atmosphère de méfiance découle des secrets et de la dissimulation nécessaire aux résistants. Odabella ne confie pas ses plans, même à ses plus proches alliés. Est-ce du sang-froid ou une couverture pour son indécision ? La générosité de Foresto est elle aussi vidée de sa substance par son insécurité.

Ezio est un personnage plus calculateur, mais aussi plus solitaire. Attila le condamne pour avoir proposé un marché au lieu de rester ferme et de se battre. Mais Ezio a aussi des valeurs et des passions refoulées. Elles s’expriment dans sa scène du début de l'acte 2, lorsqu'il est seul, la nuit, avec pour arrière-plan la ville aux sept collines. Ezio est amoureux de l'idée de Rome. Elle brûle dans son cœur, lui conférant une noblesse redoutable. Il y a quelque chose de froid chez Ezio et ses compagnons de route. Leurs actes sont peut-être justifiés, mais ils restent peu aimables. En revanche, Attila, malgré sa cruauté et ses manières autocratiques, incarne une grossière générosité d'esprit qui suscite l'admiration. N'ayant pas peur au combat, il est pourtant ébranlé jusqu'à ses fondations par la vision du vieil homme qui le saisit par les cheveux et lui sourit au visage. Attila est nommé fléau de l'humanité, mais devant Rome, son chemin est barré. C'est le territoire des dieux.

La brièveté de Verdi

Comme toujours, ce sont les confrontations qui inspirent Verdi. La fameuse scène du rêve d'Attila en est un bon exemple mais il est également clair qu'il a été inspiré par les autres personnages. Il a écrit sur sa source, la pièce de Werner :

« Il y a trois personnages formidables : Attila, qui refuse d'être contrarié par le destin, Hildegonde [Odabella], un personnage fier et très beau, obsédé par l'idée de venger son père, ses frères et son amant, et Aetius [Ezio], très beau aussi, et j'aime ce petit dialogue avec Attila où il suggère qu'ils se partagent le monde. Nous devrions introduire un quatrième personnage fort et je pense que ce devrait être Walther [Foresto] qui croit que Hildegonde est morte, et qu'elle s'est échappée d'une manière ou d'une autre »

Solera, le patriote extravagant, souhaitait terminer l'opéra par un grand chant choral de remerciement, mais il a rappelé à d'autres engagements et Verdi s’est tourné vers Piave pour la scène finale de l'opéra. La conclusion de Piave a été critiquée comme étant superficielle, mais elle a sa propre logique inexorable. Après les scènes et les images grandioses de la ville d'Aquilée saccagée et de la ville de Venise s'élevant de la lagune, du pape devant Rome et du banquet aux flambeaux, l'acte 3 est très concentré et marqué d'un laconisme remarquable. Il passe du désespoir solitaire de Foresto à son duo avec Ezio, au trio rejoint par Odabella puis au quatuor final. L'ensemble de l'acte ne dure guère plus de 15 minutes. Les cyniques diront que c'est Verdi, malade et épuisé, qui fait vite le ménage avant de s'effondrer. Si tel est le cas, il s'agit d'une réalisation audacieuse et risquée, pour exposer ses quatre personnages à la merci des éléments, à nus devant les dieux.

Nicholas Payne

Ce spectacle n'est plus disponible en vidéo à la demande mais vous pouvez encore profiter ici des contenus annexes à la production.