Les femmes fortes de l’opéra : Carmen
Après nos portraits de La Fiancée vendue de Smetana, Turandot de Puccini et Manon de Massenet, il est temps de s’intéresser à une autre femme forte de l’opéra : Carmen de Bizet, l’une des figures féminines les plus emblématiques du répertoire.
Une série sur les femmes fortes de l'opéra ne saurait être complète sans Carmen de Bizet. Depuis sa création il y a près de 150 ans, Carmen a dominé les scènes d'opéra du monde entier. Femme fatale qui séduit tous les hommes sur son chemin et, si l'on ose dire, tous les spectateurs du théâtre, elle est devenue un symbole de la libération sexuelle et de la volonté de liberté. « Jamais Carmen ne cédera, libre elle est née et libre elle mourra ! » s'écrie-t-elle avant d'être poignardée à mort par son amant éconduit.
Carmen n'a pas eu beaucoup de chance dans sa vie. Elle est ouvrière dans une usine de cigarettes et bohémienne, l'une des identités les plus marginalisées dans la société. Mais Carmen est une femme de tête, intelligente et déterminée : elle renverse les situations et rejette les normes sociales qui vont à son encontre. Elle n’a que faire d’être une femme distinguée. Elle s'habille de manière provocante, séduit outrageusement et fume des cigarettes : un fait qui a particulièrement choqué les spectateurs en 1875.
Contrairement à Micaëla, la « gentille fille » dont elle n'hésite pas à séduire le fiancé Don José, Carmen est pleinement consciente de sa sexualité. Tout au long de l'opéra, elle l’utilise comme une arme contre les hommes qui veulent la contrôler. Jamais Carmen ne se laissera dominer. « L'amour, chante-t-elle, est un oiseau rebelle que nul ne peut apprivoiser. »
Carmen n’hésite pas à s’affirmer. Aussi inspirant que cela puisse être, peut-on pour autant la considérer comme une figure du féminisme ? Oui, elle est courageuse, indépendante et n'a jamais peur de dire la vérité. Mais en fin de compte, elle ne s'intéresse pas à la libération des femmes. Elle va même jusqu’à se battre avec ses collègues d'usine. Tout ce qui l'intéresse, c'est la libération d'une femme en particulier : la sienne.
Derrière la glorification superficielle de cette héroïne subversive se cache une histoire plus complexe. Après tout, Carmen est l’invention d’un homme, et c'est à travers le regard de cet homme que nous percevons cet exotisme de gitane hypersexualisée. Sans oublier son meurtre brutal. Carmen remet en cause les normes sociales, certes, mais est-ce un conte moral pour autant ? La mauvaise fille n’a que ce qu'elle mérite ? Les productions luttent de plus en plus contre la misogynie perçue et tentent de réinterpréter la fin de l'opéra pour s'opposer à la violence faite aux femmes.
Pour ce qui en est du féminisme de Carmen, le verdict n’est pas encore tombé. Don José, lui en revanche, est enfin jugé. Dans la création Carmen Case de la compositrice Diana Soh, nous assistons à son audience suite au féminicide de son ancienne compagne. Si le destin de Carmen ne peut être défait, il existe aujourd’hui parallèlement à l’œuvre des histoires alternatives qui reflètent ce jeu complexe entre subversion et violence.