

Chagrins d’amour à l’opéra
Amours impossibles, amours éternelles – Les peines de coeur
à l’opéra
L'opéra est peut-être bien l’art où l'amour s'élève à son degré le plus absolu. Sans nul doute, il est aussi celui qui en dépeint les chutes les plus dévastatrices. Si le public raffole des duos romantiques, c'est pourtant bien souvent dans la séparation des amants que sont révélées les vérités de l'amour. Nous vous invitons à explorer les grands adieux de l'opéra à travers une sélection d’extraits : des adieux qui ne sont pas de simples conclusions narratives, mais l'expression de l'amour à son paroxysme, là où se heurtent l’un contre l’autre désir et réalité, où s’effondrent les illusions quand l'amour n’a d’autre choix que de plier sous le poids du destin.
La cruauté de la séparation
Dans la scène finale de Carmen, nous découvrons l’aspect le plus rude de l'amour qui se meurt, non seulement dans la détermination inébranlable de Carmen à son aspiration à la liberté, mais aussi dans l'amour de Don José devenu meurtrier. Tandis que l'amour de Carmen brûle d'une flamme pure et indomptable, celui de Don José, dépouillé de toute tendresse, n’est que cruauté. Moins frénétique mais tout aussi dévastatrice est la séparation dans Madama Butterfly. Si les adieux de Pinkerton (« Addio, fiorito asil ») sont pleins de tristesse, il faut admettre qu’ils sonnent creux. Le regret arrive trop tard et ne lui coûte rien. Pour Butterfly, l'amour était absolu ; pour Pinkerton, ce n'était qu'un fantasme exotique, une passion passagère déguisée en romance. Les deux femmes, l'une par défi, l'autre par désespoir, défendent la pureté de leur amour de la seule manière qui leur reste.
L'amour face au destin
Représenter l’amour mourant ne lui suffit pas : l’opéra excelle à le faire se heurter de plein fouet à la réalité. Après le bonheur des premiers instants, il est accablé par la maladie, la pauvreté ou la guerre, quand il n’est pas tout simplement rendu impossible par les différences de classes. Les personnages n’ont plus qu’à subir la séparation comme une lente suffocation. Deux des tragédies sentimentales les plus emblématiques de l'opéra, La traviata et La bohème, préfigurent dès les premiers instants le destin de Violetta et Mimì. L'amour s'épanouit comme la fleur que Violetta offre à Alfredo, vacille comme la bougie allumée par Rodolfo, mais les fleurs se fanent et les bougies s'éteignent. Il en ira de même pour la vie de Violetta et celle de Mimì. En comparaison, Manon semble plus chanceuse. Son amour n’est jamais véritablement perdu, mais la jeune femme est lentement détruite, tiraillée entre son besoin d’un amour sincère et son goût du luxe et des plaisirs. Ces romances brisées nous révèlent que l'amour, aussi profond soit-il, ne peut résoudre tous nos dilemmes, ni nous sauver des conséquences de nos choix. Dans Guillaume Tell, c’est aussi le fossé entre les classes sociales et la vengeance qui oppose et sépare Arnold et Mathilde. C’est pourtant dans un rare moment d'espérance, à la fin de l'opéra, que Mathilde choisit de se joindre à la lutte pour la liberté aux côtés d'Arnold : preuve que certains cœurs trouvent encore en eux le courage d’aller à l’encontre du destin.
À la croisée des chemins
Face à certains adieux, les spectateurs ne peuvent qu’éprouver un immense respect. Eugène Onéguine nous offre un autre moment classique de l’amour arrivé « trop tard ». Alors qu'Onéguine avoue enfin ses sentiments, il se heurte au refus de Tatiana : un refus aussi dur que son amour était sincère. Face à la tentation d'un « bonheur à portée de main », elle choisit la dignité plutôt que le désir et défend ses valeurs au prix de son cœur. Entraînée dans un tourbillon de vengeance et d’erreurs, Leonora (Il trovatore) choisit également la loyauté, qui lui coûtera la vie, puisque dans une tentative désespérée pour sauver son amant, elle se donne la mort par empoisonnement. Dans Norma, la grande prêtresse trahie fait elle aussi le choix du sacrifice pour protéger ce qui lui est sacré : ses croyances, ses enfants et l'amour qu'elle a autrefois porté. Ces choix à la croisée des chemins jettent une lumière sacrée sur les nombreux visages de l'amour à l'opéra.
L’amour et la mort
Dans L'elisir d'amore de Donizetti, Nemorino croit naïvement à l'histoire de Tristan et Isolde et boit un « philtre d'amour ». Bien que le breuvage ne soit en réalité que du vin, Nemorino parvient à conquérir le cœur d'Adina. Après tout, dans l'histoire de Tristan et Isolde, la potion magique ne fait que révéler un amour pré-existant. Tout comme les puissants sortilèges de la sorcière Alcina sont défaits par l'arrivée de l’amour véritable, les deux opéras suggèrent que l'amour, bien que mystérieux dans son apparition, ne peut être créé de toute pièce. Il résiste à tout contrôle et va de pair avec la mort. Dans des opéras inspirés de mythes tels que Didon et Énée ou Orphée et Eurydice, l'amour et la mort sont presque indissociables. Le départ et le retour, le regard en arrière ou le refus de se retourner, tout mène à la même fin. Dans ces contradictions éternelles, la lamentation sur la séparation devient le testament ultime de l'amour.
Comme toutes les belles choses de la vie, l'amour commence par la conscience de sa fin inéluctable. Plus qu’une musique émouvante, plus qu’une réflexion sur l’éphémère, les séparations lyriques sont aussi une réflexion philosophique sur nos choix et notre existence, sur la difficulté d’être humain. Écoutez ces moments de séparation, et l'opéra, avec son regard intransigeant, vous donnera le courage d'accepter à la fois l'amour et la perte.
Siqi Luo